Secret des données des essais cliniques

  • Lexique : Essais cliniques

« Étude clinique remplissant l’une des conditions suivantes :  

  1. L’affectation du participant à une stratégie thérapeutique en particulier est fixée à l’avance et ne relève pas de la pratique clinique normale de l’État membre concerné ; 
  2. La décision de prescrire les médicaments expérimentaux est prise en même temps que la décision d’intégrer le participant à l’essai clinique ; ou 
  3. Outre la pratique clinique normale, des procédures de diagnostic ou de surveillance s’appliquent aux participants »

Article 2, 2° du Règlement 536/2014 du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain

Les données des essais cliniques (et précliniques) font l’objet d’une réglementation particulière qui empêche, à certains égards, leur diffusion et leur utilisation, pendant un certain temps, par les tiers. Passé le délai d'embargo, les données font l'objet d'une mise à disposition.

Les données des essais cliniques (et précliniques) sont régies simultanément par les textes internationaux (ADPIC), européens (directives et règlements), et en droit français, par le Code de la santé publique, qui en prévoient le principe de la mise sous secret à certaines conditions.

I. Principe du secret

« Lorsqu’ils subordonnent l’appropriation de la commercialisation de produits pharmaceutiques ou de produits chimiques pour l’agriculture qui comportent des entités chimiques nouvelles à la communication de données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées, dont l’établissement demande un effort considérable, les Membres protégeront ces données contre l’exploitation déloyale dans le commerce. En outre, les Membres protégeront ces données contre la divulgation, sauf si cela est nécessaire pour protéger le public, ou à moins que des mesures ne soient prises pour s’assurer que les données sont protégées contre l’exploitation déloyale dans le commerce ».

–  OMC, Article 39, §3 de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)

A. Conditions

Les entreprises pharmaceutiques peuvent empêcher la diffusion et la réutilisation des données des essais cliniques par les tiers

Pour cela quatre conditions doivent être réunies afin de bénéficier de l’application de la protection :

1° Les données relatives aux essais cliniques ne doivent pas avoir été divulguées, à travers une publication scientifique par exemple ;

2° La protection ne peut être accordée par les États que dans le cadre d’une procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) ;

3° Les données doivent être relatives à des essais cliniques qui concernent des produits chimiques ou pharmaceutiques nouveaux ;

4° L’acquisition des données doit avoir été le résultat d’un effort considérable. 

L’objectif est de protéger les producteurs des données d’une utilisation de celles-ci par des tiers et de lutter contre des pratiques commerciales déloyales.

B. Effets

1. En droit européen

En Europe, la protection des données relatives aux essais cliniques a pris la forme d’un embargo sur les données. Ainsi, pendant une période déterminée, dont la durée a été uniformisée sur le territoire de l’Union, les tiers, c’est-à-dire les personnes autres que les détenteurs légitimes des données qui les ont développées et obtenues (entreprises, institutions publiques de recherche), ne peuvent pas accéder aux données des essais cliniques pour développer des produits pharmaceutiques dont la bioéquivalence aurait par exemple été démontrée (produits génériques). – Directive n° 2004/27 du 31 mars 2004 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain

Les données sont disponibles, par dérogation, qu'après une durée de huit ans à compter de la date de l’AMM, au-delà de laquelle les tiers peuvent se référer au dossier clinique du médicament princeps. – Article 10, 1° de la Directive n° 2004/27 du 31 mars 2004 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain

Le médicament générique à partir des données de l’AMM ne peut être commercialisé qu’après une période de dix ans à compter de la date de l’AMM du médicament de référence. 

Cette période peut être prolongée d’une année si le titulaire de l’AMM obtient pendant les huit premières années de la période de dix ans une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui sont jugées apporter un avantage clinique important par rapport aux thérapies existantes. – Article 10, 1°, alinéa 3 de la Directive n° 2004/27 du 31 mars 2004 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain

L’exclusivité accordée au détenteur légitime des données relatives aux essais cliniques n’est reconnue que par dérogation : le législateur laisse en effet la possibilité au laboratoire « génériqueur » de ne pas avoir à fournir les données relatives aux essais cliniques et de se référer aux données déjà fournies et communiquées à l’autorité publique par le laboratoire « princeps ». 

Cette faculté qui est destinée à encourager le développement de médicaments génériques ne peut cependant être utilisée qu’après un certain temps (8+2+1), pendant lequel les données sont réservées au laboratoire « princeps ». – Article 14, 11° du Règlement 726/2004 du 31 mars 2004 établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments

Médicaments orphelins

En droit européen, les règles applicables aux médicaments orphelins élaborés pour traiter les maladies rares sont prévues par le Règlement 141/2000 du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins

Afin d’encourager la Recherche-Développement dans ces domaines peu rentables sur le plan économique, le règlement prévoit une exclusivité commerciale au profit du premier laboratoire obtenant une AMM pendant une période de dix ans, interdisant à l’autorité publique d’accorder une AMM ou de faire droit à une demande d’extension d’une autorisation de mise sur le marché existante pour un médicament similaire (article 8, 1°). Cette période peut être ramenée à 6 ans s’il est établi, à la fin de la 5e année, que s’il est démontré, pour le médicament concerné, que la rentabilité est suffisante pour ne plus justifier le maintien de l’exclusivité commerciale (article 8, 2°).

  • Lexique : Maladie rare

« Affection entraînant une menace pour la vie ou une invalidité chronique ne touchant pas plus de cinq personnes sur dix mille dans la communauté au moment où la demande est introduite ».

–  Article 3, 1°, a) du Règlement 141/2000 du 16 décembre 1999 concernant les médicaments orphelins

2. En droit interne

En droit français, les articles L. 5121-8 et suivants du Code de la santé publique prévoient qu’une spécialité générique ne peut être commercialisée qu’à l’expiration d’une période de dix ans suivant l’autorisation initiale de mise sur le marché. Cette période est de onze ans si pendant les huit premières années suivant l’autorisation de la spécialité de référence le titulaire de celle-ci obtient une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui sont considérées, lors de l’évaluation scientifique conduite en vue de leur autorisation, comme apportant un avantage clinique important par rapport aux thérapies existantes. - Article L. 5121-10-1, al. 1er du Code de la santé publique

L’accès aux données relatives aux essais cliniques et précliniques n'est possible qu’à compter de la période échue de huit ans à compter de l’AMM, les demandeurs peuvent se contenter de fournir et de communiquer à l’autorité publique les données chimiques, pharmaceutiques et biologiques ainsi que des études de biodisponibilité démontrant la bioéquivalence à la spécialité de référence. – Articles R. 5121-25 et R. 5121-28 du Code de la santé publique

Ces règles sont également applicables aux médicaments biologiques similaires et aux médicaments présentant des caractéristiques communes par rapport à un médicament générique en raison de différences portant sur un ou plusieurs éléments de cette définition et nécessitant que soient produites des données supplémentaires. – Article L. 5121-1, 14° du Code de la santé publique ; Article L. 5121-10-1, alinéa 2 du Code de la santé publique

II. Exception de santé publique

La règle de protection est munie d’une exception lorsque l’intérêt du public est en jeu ou lorsque des règles ont déjà été adoptées pour prémunir les détenteurs des données d’acte de concurrence déloyale.

L’exception peut, par exemple, trouver à s’appliquer lorsque les produits pharmaceutiques sont exportés par le biais d’une licence obligatoire si les conditions prévalant à son application sont remplies et conformément à la procédure prescrite par les textes. Dans ce cas, les brevets délivrés sur des produits pharmaceutiques, mais également sur des procédés ou méthodes de diagnostic, peuvent être soumis à un régime de licence d’office autorisant les tiers à demander aux pouvoirs publics d’un État l’octroi d’une licence d’exploitation.

Les produits pharmaceutiques sont exportés par le biais d’une licence obligatoire si les conditions prévalant à son application sont remplies et conformément à la procédure prescrite par les textes. Dans ce cas, les brevets délivrés sur des produits pharmaceutiques mais également sur des procédés ou méthodes de diagnostic, peuvent être soumis à un régime de licence d’office autorisant les tiers à demander aux pouvoirs publics d’un État l’octroi d’une licence d’exploitation. – Article L. 613-16 et suivants du Code de la propriété intellectuelle

Exceptions en droit international

De même, sur le plan international, la Déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, convenue par les membres de l’Organisation mondiale du commerce à Genève le 14 novembre 2001, a permis de faire de la licence obligatoire une application étendue en faveur de pays en développement et des pays les moins avancés, connaissant des problèmes de santé publique. 

Les États signataires peuvent en conséquence adopter des « flexibilités » des règles contenues dans l’Accord sur les ADPIC prévoyant par exemple pour chaque membre, qui a le pouvoir de déterminer ce qui constitue une situation d’urgence nationale (exemple : VIH/SIDA,tuberculose, paludisme et autres épidémies), le droit d’accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées. 

Suite à la ratification de la déclaration, l’Union européenne s’est dotée d’un règlement permettant de déroger à l’exclusivité sur les données des essais cliniques pour les produits fabriqués dans le cadre d’une licence obligatoire uniquement pour l’exportation. 

- Règlement 816/2006 du Parlement européen et du Conseil, 17 mai 2006, concernant l’octroi de licences obligatoires pour des brevets visant la fabrication de produits pharmaceutiques destinés à l’exportation vers des pays connaissant des problèmes de santé publique

Plus récemment, pour faire face à l’épidémie de SARS-CoV-2 (ou Covid-19), le Canada a adopté une loi permettant d’autoriser le gouvernement du Canada et toute personne précisée dans la demande à fabriquer, à construire, à utiliser et à vendre une invention brevetée dans la mesure nécessaire pour répondre à l’urgence de santé publique, d’intérêt national, jusqu’au 30 septembre 2020, L. 25 mars 2020 sur les mesures d’urgence visant la Covid-19 (art. 51, L.C. 2020, chap. 5), modifiant la loi sur les brevets dans la partie relative aux « Usages de brevets par le gouvernement » (art. 19, L.R.C. [1985], chap. P-4).