La définition elle constitue un enjeu à la fois pour la préservation de biodiversité (lorsque les savoirs traditionnels portent sur l'utilisation de ressources biologiques) et pour l'appréciation de la nouveauté des inventions dont la protection par le brevet est demandée.
La notion de savoirs traditionnels se distingue de celle de savoir-faire et des connaissances scientifiques découvertes (naturelles).
Les savoirs traditionnels peuvent donner lieu à un brevet lorsqu’ils sont associés à une ressource naturelle, pour le développement de nouveaux produits pharmaceutiques, phytopharmaceutiques ou agroalimentaires. Or, les brevets accordées sur les technologies utilisant les connaissances issues de l'analyse des ressources biologiques ne sauraient empêcher l'utilisation des ressources par les communautés autochtones.
Cette possibilité de breveter des connaissances traditionnelles a été rendue possible en raison du faible niveau d’exigence quant à l’application de la condition de nouveauté. – OMC, Conseil des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Protection des savoirs traditionnels et du folklore. Résumé des questions qui ont été soulevées et des vues qui ont été formulées (point 20)
Les offices de dépôt de brevets retiennent en général comme preuve suffisante de nouveauté, le fait que la connaissance n’ait pas donné lieu à une large diffusion et n’ait pas été retrouvée telle quelle dans une antériorité. Le défaut de nouveauté peut également fonder une opposition à un brevet portant sur des connaissances traditionnelles (par exemple, le brevet sur le margousier, le curcuma ou encore sur le « faux tabac », etc.). Le caractère traditionnel de ces savoirs peut donc avoir pour effet de leur ôter leur nouveauté et les intégrer dans le domaine public.
Cependant, certains affirment que l’acquisition de la connaissance provient d’un niveau d’analyse plus précis et détaillé que celui qui a été élaboré par les communautés locales. Il y a donc un continuum entre le moment où la connaissance scientifique traditionnelle est acquise et utilisée et le moment où elle est décrite et, par suite, industrialisée.
L’idée selon laquelle la recherche scientifique ajoute de la connaissance à la connaissance est soutenue dans le Règlement relatif aux mesures concernant le respect par les utilisateurs dans l’Union européenne du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, 16 avril 2014
Les peuples autochtones doivent donc, pour des raisons fondées sur l'équité, pouvoir être associés au succès des brevets délivrés.
Si la diffusion ouverte des données peut de prime abord être analysée comme une forme de partage des résultats issus de la recherche, et donc comme un APA , l’on peut aussi, en sens inverse, considérer qu’elle trahit le principe lui-même dans la mesure où la contrepartie de la diffusion peut consister en une priorité, voire en une préférence, dans l’accès à la ressource génétique. Lorsque cette option est choisie par les établissements de recherche, ces derniers
ne pourront, du moins sans l’accord de leurs partenaires, diffuser de façon ouverte les données ainsi collectées. Le principe de diffusion ouverte des données peut donc se trouver en contradiction directe avec le principe de l’APA découlant de l’utilisation des ressources génétiques. La diffusion ouverte des données peut même faire voler en éclats tout le dispositif, lorsqu’en particulier, les relations entre les pays du Nord et les pays du Sud reposent sur des partenariats entre
institutions et établissements de recherche. Si diffusion il doit y avoir, elle ne peut être que restreinte à une communauté de chercheurs.
La diffusion de telles données peut en outre avoir pour effet de fournir indirectement des informations sensibles sur les territoires concernés.
La notion de savoirs traditionnels fait l’objet d’une définition légale sur le plan international, européen et national.
Les définitions reposent toutes sur un critère spatial et temporel. En effet, les connaissances traditionnelles sont reliées aux communautés d’habitants, c’est-à-dire à une conception de la communauté fondée sur un critère géographique, en même temps qu’elle repose sur une conception dynamique et transgénérationnelle des savoirs.
« Toute communauté d’habitants qui tire ses moyens de subsistance du milieu naturel et dont le mode de vie présente un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité ».
« Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celles des écosystèmes ».
Article 2 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992 ; Article L. 110-1 du Code de l’environnement
La Convention sur la diversité biologique de 1992 organise des usages partagés de la biodiversité afin de la préserver. Cette position est fondée sur la reconnaissance de la valeur d’usage des ressources pour les populations autochtones.
Le principe est que les États exercent leur souveraineté sur les ressources naturelles et les savoirs qui y sont associés. – Article 9 du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA) ; Article 15 de la Convention sur la diversité biologique, conformément à la Charte des Nations unies et aux principes de droit international.
La CDB a été prolongée et étendue en 2010 par le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique.
Le TIRPAA a été conclu dans le cadre de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2001.
Les textes aménagent une articulation des droits de propriété intellectuelle portant sur les résultats scientifiques avec les intérêts des populations autochtones qui ne doivent pas être entravés dans l’utilisation des connaissances qu’ils ont eux-mêmes développées, ni dans la transmission de ces savoirs dynamiques aux générations futures.
Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
Des exceptions aux droits de propriété intellectuelle issues de l'ADPIC de 1994 permettent de ménager les intérêts de populations autochtones :
L'intégration du droit international en droit européen s'est réalisé avec l'adoption du Règlement européen 511/2014 du 16 avril 2014 relatif aux mesures concernant le respect par les utilisateurs dans l’Union du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation.
Le règlement européen établit ainsi les règles régissant le respect des obligations portant sur l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques, conformément au protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation rattaché à la convention sur la diversité biologique (ci-après dénommé «protocole de Nagoya»). La mise en œuvre efficace du présent règlement contribuera également à la conservation de la diversité biologique et à l’utilisation durable de ses éléments constitutifs, conformément aux dispositions de la Convention sur la diversité biologique.
Le principe d'accès et de partage des avantages a été intégré en droit français par la Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (Titre V) dont les dispositions ont été intégrées au Code de l'environnement.
Le droit français prévoit, de manière générale, que « les espaces, ressources et milieux naturels, terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage ». – Article L. 110-1 du Code de l’environnement
Le partage des avantages est défini en regard de ces données génétiques comme étant « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées, entendu comme les résultats de la recherche et de la mise en valeur ainsi que les avantages résultant de leur utilisation commerciale ou non commerciale, avec l’État qui exerce la souveraineté sur ces ressources ou avec les communautés d’habitants en ce qui concerne les connaissances traditionnelles associées à ces ressources.
Le partage des avantages peut consister en :
Les actions mentionnées aux a à d sont examinées en priorité ».
La Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992 complétée par les Lignes directrices de Bonn de 2002, énonce les conditions dans lesquelles l’accès aux ressources peut être autorisé par les autorités nationales. – Article 15, 1° de la Convention sur la diversité biologique ; Article 10 1°, Traité international sur les ressources phytogénétiques. Elle affirme également le principe dit du « partage équitable des avantages ». – Article 15, 7° de la Convention sur la diversité biologique
Le Protocole de Nagoya de 2010 sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique a été adopté pour prolonger la CDB. Le protocole a fait progresser le troisième objectif de la Convention en assurant une plus grande certitude juridique et une transparence accrue pour les fournisseurs et les utilisateurs de ressources génétiques.
La technique instaurée par le protocole de Nagoya repose sur le principe de l’accès et du partage des avantages (APA) qui permet ainsi, tout en préservant les intérêts des communautés locales dont le consentement préalable est requis, de continuer à utiliser les ressources génétiques pour « les activités de recherche et de développement sur la composition génétique et/ou biochimique de ressources génétiques, notamment par l’application de la biotechnologie » (art. 2), conformément à la définition de l’article 2 de la Convention sur la diversité biologique.
Ces deux principes-clés sont énoncés par le protocole :
Selon les Lignes directrices de Bonn, la répartition des avantages peut être monétaire ou non monétaire selon les cas (art. 46). Les avantages doivent être partagés de manière juste et équitable entre tous ceux qui ont été identifiés comme ayant contribué à la gestion de la ressource et au processus scientifique et/ou commercial (art. 48). Il peut s’agir d’organismes gouvernementaux, d’organismes non gouvernementaux ou d’établissements universitaires et de communautés autochtones et locales. Les avantages devraient être répartis de manière à promouvoir la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique.
La condition d’accès aux savoirs traditionnels repose sur le consentement étendu des communautés d’habitants. Pour cette raison, la valorisation de ces savoirs peut être économique (exploitation) ou purement scientifique (publication).
Les principes d'accès aux ressources et de partage des avantages sont affirmées en droit français aux articles L. 412-4 à L. 412-20 du Code de l'environnement.
Les règles internationales ne concernent que les ressources génétiques animales et végétales, à l’exception des ressources génétiques humaines.
En outre, les règles concernent l'utilisation des ressources biologiques dans le cadre d'une Recherche-Développement. Ainsi, un laboratoire public qui réalise une prestation de services consistant dans le séquençage des moustiques prévoyant la communication des résultats bruts au tiers commanditaire ne saurait être considéré comme débiteur des obligations APA. Seul le commanditaire, à condition qu’il réalise des activités de recherche et de développement portant par exemple sur la composition génétique ou biochimique de la ressource, peut être considéré comme tel. - FRB, Questionnements APA non-résolus et études de cas pratiques, p. 29
L’utilisation des ressources génétiques comprend « les activités de R&D sur la composition génétique ou biochimique de tout ou partie d’animaux, de végétaux, de micro-organismes ou autre matériel biologique contenant des unités de l’hérédité, notamment par l’application de la biotechnologie, ainsi que la valorisation de ces ressources génétiques, les applications et la commercialisation qui en découlent ». - Article L. 412-4, 1° du Code de l’environnement
Les procédures d’accès et de partage des avantages sur les ressources génétiques relevant de la souveraineté de l’État et sur les connaissances traditionnelles associées à ces ressources génétiques sont s’appliquent :
1° à tout accès ultérieur à la publication de la même loi à des fins de connaissance, de conservation en collection ou de valorisation non commerciale,
2° à toute nouvelle utilisation pour les autres fins.
« Toute activité de recherche et de développement avec un objectif direct de développement commercial et dont le domaine d’activité se distingue de celui précédemment couvert par le même utilisateur avec la même ressource génétique ou connaissance traditionnelle associée ».
Exclusions
Sont exclus les modes de valorisation par les signes de qualité, tels que les labels, etc., prévus par l’article L. 640-2 Code rural et de la pêche maritime ; Article 412-5, 1°, g) du Code de l’environnement
La loi exclut également de la notion d’utilisation l’échange des connaissances traditionnelles à des fins personnelles ou non commerciales. – Article L. 412-5, 2° du Code de l’environnement
La loi exclut enfin les connaissances associées à des ressources génétiques ne pouvant être attribuées à une ou plusieurs communautés d’habitants et les savoirs associés à des ressources génétiques dont les propriétés sont bien connues et ont été utilisées de longue date et de façon répétée en dehors des communautés d’habitants qui les partagent – Article L. 412-5, e) et f) du Code de l’environnement
Par conséquent, sont exclus les connaissances traditionnelles connues pour avoir été suffisamment diffusées.
« Activités de recherche et de développement sur la composition génétique et/ou biochimique de ressources génétiques, notamment par l’application de la biotechnologie, conformément à la définition de l’article 2 de la Convention sur la diversité de la biologique ».
« Activités de recherche et de développement sur la composition génétique ou biochimique de tout ou partie d'animaux, de végétaux, de micro-organismes ou autre matériel biologique contenant des unités de l'hérédité, notamment par l'application de la biotechnologie, ainsi que la valorisation de ces ressources génétiques, les applications et la commercialisation qui en découlent ».
Lignes directrices de Bonn
Les demandes d’accès à des ressources génétiques par consentement préalable donné en connaissance de cause et les décisions de l’autorité (des autorités) compétente(s) d’accorder ou non l’accès aux ressources génétiques doivent être établies par écrit (art. 38). L’autorité compétente peut accorder l’accès en délivrant un permis ou une licence ou suivant d’autres procédures appropriées.
Un système national d’enregistrement peut être utilisé pour enregistrer la délivrance de tous les permis ou licences, sur la base des formulaires de demande dûment remplis (art. 39). Les procédures d’obtention de permis/licences d’accès doivent être transparentes et accessibles à toute partie intéressée (art. 40).
Le transfert de matériel (ressource naturelle) est organisé pour pouvoir appréhender l’information génétique qu’il contient. Si l’opération juridique se conçoit autour du transfert de matériel (accords de transfert de matériel), c’est le message contenu par le matériel qui constitue le cœur de l’opération sur le plan scientifique et économique.
Droit français
La loi nationale oblige les utilisateurs des savoirs traditionnels à préserver ces connaissances par la création, le cas échéant, de bases de données avec le consentement préalable en connaissance de cause des communautés d’habitants concernées et par la préservation des autres pratiques et savoirs traditionnels respectueux de la biodiversité. - Article L. 412-4, 3°, b) du Code de l’environnement
La loi impose également une déclaration aux autorités compétentes lorsque les utilisateurs « 1° reçoivent un financement pour des travaux de recherche impliquant l’utilisation de ressources génétiques et de connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques : [… ou] lors du développement final d’un produit élaboré grâce à l’utilisation de ressources génétiques et de connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques ».
L'autorité nationale compétente est le Ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Lorsque l’utilisation aboutit à une demande de brevet, les informations sont adressées à l’INPI qui transmet à l’autorité compétente. Il en est de même si l’utilisation conduit à une demande d’autorisation de mise sur le marché. – Article L. 412-18 du Code de l’environnement